dimanche 22 mars 2009

Précisions sur LE MIROIR OBSCÈNE

Comme promis dans le dernier billet, je me lance dans quelques précisions quant à la version projetée à la cinémathèque québécoise du film LE MIROIR OBSCÈNE de Jess Franco. En fait, avec ce visionnement, je me suis retrouvé avec plusieurs surprises mais tout d'abord, élaborons rapidement sur les trois versions plus courantes qui existent sur le marché vidéo en ce moment.

1-La version originale espagnole nommée AL OTRO LADO DEL ESPEJO. Disponible seulement en espagnol en VHS dans son pays d'origine. Il s'agit ici d'un film onirique sans les déboires à caractère sexuel présents dans les autres versions. La durée m'est inconnue.

2-La version française plus olé présentée sous le titre LE MIROIR OBSCÈNE produite par Robert De Nesle. Cette version présente un remontage du film espagnol avec une musique différente d'André Bénichou. Ce remontage change le filon majeur du métrage en ajoutant des inserts softs pour pimenter le film et obtenir la cote X (de l'époque) en France comme le désirait De Nesle. Franco s'occupe du tournage de ces scènes additionnelles. Également, on me dit que plusieurs scènes sont dans un ordre différent de la version originale. La durée de la version vidéo est de 80 minutes.

3-La version italienne à caractère pornographique intitulée LO SPECCHIO DEL PIACERE. Cette version reprend le remontage de la version française pour y ajouter des inserts pornographiques. Il s'agit de gros plans de pistonnage qui n'ont rien à voir avec le film. La majorité de ces inserts lassants remplacent une bonne partie des inserts softs présents dans la version française. On omet aussi quelques scènes dont l'annonce du suicide du paternel, des numéros musicaux et quelques autres bouts ici et là. La durée est de 87 minutes.

Maintenant que ceci est mis au clair, imaginez ma surprise à la cinémathèque, pendant le visionnement de la version française présentée, en réalisant que la version est différente sous un point majeur de celle en VHS: il y a, entre autre, une bobine complète de plus dans le film ! C'est dire à quel point la distribution des films de Franco n'est jamais bien aidante à découvrir les oeuvres de celui-ci, encore moins si on y ajoute toutes les différentes versions pour différents territoires, aidant à rendre le tout encore plus décousu. J'ai donc eu la chance de voir la version française d'origine, celle présentée en salle à l'époque de sa sortie !

Élaborons sur les quelques différences, entre la version cinéma et la version VHS, autre que la bobine de plus: dès le départ, lors du générique, le plan final se termine sur le manoir familial. Dans la version cinéma, le plan demeure statique et la musique continue de jouer pendant un long moment avant de couper pour démarrer le récit. Était-ce pour laisser une marge de manoeuvre pour les différents génériques de différents pays ? Peut-être. Quoi qu'il en soit, ce long plan musical laisse le temps de nous envelopper dans l'univers du film tout en découvrant la musique de Bénichou. Ce plan plus long est également présent dans la version italienne qui, elle, coupe le générique pour l'afficher sur un fond noir, mais tout en ouvrant sur ce plan statique. La version VHS, elle, coupe cette longueur pour se lancer tout de suite dans le récit ce qui nous donne droit à un saut dans la bande-son.

Une autre coupe, peut-être pour la censure cette fois, se présente lors de la scène de suicide d'Annette dans la baignoire. Les quelques plans sont plus longs et on a droit à des plans des poignets tranchés, laissant une ambiance morbide en entendant que des goutelettes se mêlant à l'eau de la baignoire. Ces plans sont présents dans la version italienne.

Et maintenant, nous arrivons à la bobine manquante. Toutes ses scènes sont sans doute présentes dans la version originale espagnole, mais il est vraiment dommage de juger la VF lorsqu'un aussi grand bout de métrage est manquant. Ce manque arrive au bout d'une heure environ et nous présente de nouveaux personnages, tout en développant la tentative de retour d'Annette dans la vie de tous les jours, après son suicide non-réussi. Le mal de vivre disparait pendant un instant, mais se repointera plus le temps avancera, tout ceci étant manquant dans la version VHS.

On débute donc avec la scène à la terrasse où Annette prend un verre tranquillement alors qu'un peu plus loin, un homme en couple lui lance des regards aiguicheurs.

Lorsqu'Alice Arno fait son entrée à la terrasse pour rencontrer son amie, on s'aperçoit qu'elle connait le couple et nous avons donc droit à un rassemblage empreint d'humour avec l'homme commandant du « brisa », un breuvage qu'il boit sans cesse si on en croit sa femme.

On les retrouve ensuite à un bar où la commande de « brisa » se fait à nouveau pour ensuite s'amuser avec un drinking game qui, comme me le faisait remarquer un ami connaisseur, est le même présent dans plusieurs films de Franco comme EUGÉNIE DE SADE ou PLAISIR À TROIS. On voit bien dans cette scène qu'Annette a une bien grande difficulté à réintégrer le monde, étant toujours un peu ailleurs.

Suivant tout cela, on retrouve une scène avec un dialogue particulièrement savoureux où Annette énumère tout ce qui l'emmerde. Une discussion humoristique avec tout le lot de profondeur qui ne se ridiculise pas.

Nous avons droit ensuite à une magnifique scène sur un yacht où les images superbes des environs sont à couper le souffle. Bien sûr, avec les images prises d'une copie grandement abîmée, ne laissant aucune place aux couleurs resplendissantes, je ne peux que vous donnez un aperçu quelconque. L'homme faisant la cour à Annette marque quelques points...

Nous nous retrouvons ensuite à une salle de danse où le couple discute de l'attirance de l'homme envers Annette, tout en dansant, mettant clairement au point la vision de la dame du couple, disant que la jalousie n'est pas présente vu l'attirance seulement physique.

Après la danse, le couple et Annette se retrouvent pour discuter. C'est à ce moment que la version VHS reprend, laissant le spectateur faire un sommaire de qui peuvent bien être ses nouveaux arrivants, enlevant tout le développement et l'état où en est le personnage d'Annette. Toutes les photos ici présentes proviennent de la version X italienne, mais dans cette version, il manque également un autre moment magnifique, celui que je recherchais après la vision du film en salle.

Il se situe également dans cette bobine manquante (coupé même dans cette version italienne pour laisser place à des inserts plus longs ailleurs dans le métrage), si ma mémoire ne fait pas trop défaut, juste avant la scène du yacht: il s'agit d'un long plan où nous voyons Annette et son amie (Alice Arno), le couple, ainsi qu'une figurante dans une décapotable longeant la route près de la mer. Dans ce plan magnifique doté d'une ambiance particulièrement onirique, la voiture suit la caméra pendant que nous entendons les bruits de moteur des voitures ainsi que les sons ambiants de l'endroit en même temps que nous avons en guise de bande-son la chanson thème de Bénichou, fredonnée par les personnages. Un moment magique qui dure moins d'une minute, mais qui fait rêver longuement. Cette scène est probablement présente dans la version espagnole, mais vu la musique différente, ça ne sera pas la même chose, malheureusement.

Ce constat de la version cinéma est enthousiasmant tout en étant légèrement déprimant. Enthousiasmant puisque ça ajoute beaucoup au métrage en question et que cette version existe toujours. Légèrement déprimant parce que cette version n'est disponible nul part ailleurs qu'en salle. Le côté légèrement déprimant ne s'arrête pas là.

Toute cette situation m'a mis sur la piste d'une hypothèse qui, visiblement, s'avère véridique. Tous les films de Jess Franco produits pour Robert De Nesle, époque particulièrement jouissive de l'oeuvre de Franco, sont problématiques quant à leur distribution sur le marché vidéo, la question des droits d'auteurs étant plus que confuse. Ils ont tous eu une distribution en VHS à l'époque en France, la plupart d'une qualité primaire, mais dont on se contente tellement les films sont savoureux. Pour ce qui est du marché d'aujourd'hui, cette situation des droits confus et complexes donne droit à une distribution de quelques-uns de ces films, seulement ceux co-produits avec une compagnie internationale, laissant libre cours à cette autre compagnie à vendre les droits de la version présentée sur leur territoire (LES DÉMONS, par exemple, est sorti en Allemagne en DVD par l'entremise de la co-production portugaise). Rare sont ces sorties, mais l'espoir demeure.

Cependant, cet espoir se tarni par le constat que cette version du MIROIR OBSCÈNE pousse: tous les De Nesle en version VHS (la plupart n'étant disponible qu'en VF, langue « d'origine » du métrage produit en France) sont coupés. Pas des petites coupes, mais des bobines manquantes ! Ceci expliquerait pourquoi tous les films pour De Nesle sont si courts, allant jusqu'à aussi peu que 65 minutes...

Pourquoi ce constat généralisateur (à part le cas évident du MIROIR OBSCÈNE ici présent) ? Eh bien, à travers les années, les rumeurs circulaient envers une version plus longue de LORNA L'EXORCISTE (alias LES POSSÉDÉES DU DIABLE), film fétiche de plusieurs (dont moi-même). Cette rumeur survivait grâce à une photo démontrant une scène particulièrement osée (le fameux cliché de Lorna, Pamela Stanford, et du godemichet). Le doute subsistait tout de même envers une version ayant cette scène puisque les photos de plateaux de l'époque laissaient souvent songeur à d'autres scènes, mais il s'agissait bel et bien de coupes au montage initial. Cependant, une version en Suède est apparu de ce film avec une durée beaucoup plus longue (mais omet la scène du godemichet pour cause de censure).

On a droit ensuite à une version de SHINING SEX en VF de 81 minutes. On découvre maintenant une version doublée en anglais disponible au Japon de plus de 100 minutes ! LES ÉBRANLÉES existe également en deux distributions en VF en VHS, l'une ommettant plusieurs scènes importantes (mais encore là, vu la durée, une ou plusieurs bobines peuvent être manquantes). Peut-être que deux VF diffèrent également pour LORNA, je n'ai pas encore vérifié la chose, mais la durée est tout de même proche l'une de l'autre (80 min. vs. 83 min.) Nous avons également droit, pour LES DÉMONS en DVD, à une version beaucoup plus exhaustive, sans doute la version présentée en salle contrairement à la version disponible en VHS, un cas semblable au MIROIR OBSCÈNE.

LA COMTESSE PERVERSE pourrait également être ajouté au lot, mais vu les nombreux remontages de ce film, qui sait si une version originale existe encore ? La présentation du MIROIR OBSCÈNE me laisse espérer que oui, quelque part, elle existe toujours. On a tout de même réussi à retracer une version ultérieure à la version disponible à travers la plupart des vendeurs de bootlegs (un montage précédant d'autres coupes faites pour l'ajout d'inserts additionnels.)

Donc, cette distribution initiale en VHS en France, est-ce que les bobines retirées sont dûes à un désir d'économie pour le coût de la bande vidéo à l'époque ? Ou tout simplement présenter des films d'une courte durée sur ce format tout nouveau ? La raison importe peu, mais je mise sur l'économie de la bande vidéo vu le format qui débutait et les frais que le tout pouvait encourir. D'une façon ou d'une autre, cela laisse songeur à tout ce qu'on manque si la découverte de ces films ne s'est pas faite en salle... Nombreux sont les admirateurs de Jess Franco qui préférent son époque De Nesle, moi y compris, ce qui laisse tout un côté prolifique de sa filmographie ouvert à la redécouverte.

Je n'ai pas pu consulter l'ouvrage ultime et magnifique d'Alain Petit sur l'oeuvre de Jesus Franco, intitulé Manacoa Files, pour approfondir les recherches, mais j'imagine bien qu'il en viendrait aux mêmes conclusions. Peut-être que M. Petit va venir nous éclairer ? Peut-être ignore-t-il ces nouvelles informations ? La quête continue...

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