Eh oui, je suis toujours en vie et bien certainement, je ne pouvais manquer des projections en pellicule de films de Jess Franco ! Quiconque me connaît a bien entendu parler de cet espagnol à un moment ou à un autre par ma faute. Et voilà qu’un de mes vœux est exaucé avec la chance de pouvoir découvrir ou redécouvrir des œuvres de sieur Jess sur le grand écran. Je n’avais toujours pas eu cette expérience à ce jour malgré tout mon bon vouloir. Un autre de ces désirs de projections s’est réalisé il y a de ça à peine un an avec la projection de deux films de Jean Rollin, en plus d’avoir pu dialoguer et partager un peu de temps avec ce sympathique bon-vivant pendant son séjour. Je suis gâté, mais poursuivons dans le sujet du moment…
On ne s’y attendait plus, mais les hommages que Franco reçoit outre-atlantique ont pu y jouer : on lui a rendu honneur lors d’une rétrospective de 69 films (!) à la cinémathèque française et tout récemment, il vient de recevoir le Goya d’honneur en Espagne. Magnifique ! On peut dire bien des choses sur notre rebel favori, mais c’est certain que de recevoir une tape sur l’épaule de temps en temps fait le plus grand bien. Son cinéma n’est pas fait pour tout le monde malgré sa grande variété, mais si on aime, ça devient rapidement une obsession.
Donc, Jesús Franco Manera à la cinémathèque québécoise. Trois films consécutifs à partir de 23h00 le samedi soir : L’HORRIBLE DR. ORLOF (1961), LE MIROIR OBSCÈNE (1973) et LES PRÉDATEURS DE LA NUIT (alias FACELESS) (1988). L’événement fait partie du Festival Montréal en lumière où de nombreuses activités sont organisées pendant toute la nuit. Aucune hésitation de ma part envers laquelle je vise, le seul hic étant de ne pas vouloir souffrir de portes battantes durant les représentations ainsi que de la présence d’abrutis voulant rigoler au lieu de visionner des films avec un tant soit peu de respect. D’une façon ou d’une autre, profiter de cet événement est un essentiel.
J’arrive là-bas vers 22h30, question d’avoir une bonne place si jamais ces représentations attirent plus de monde qu’on peut le penser. J’entre à la cinémathèque et on voit déjà une file d’attente d’une quarantaine de personnes. Eh ben. Plus l’heure approche, plus la file s’allonge jusqu’à créer un bouchon à l’entrée en plus d’un bal masqué se déroulant au même endroit. L’heure sonne : on attend toujours, un film jouait dans la salle et a pris du retard. La salle se vide, on finit par entrer et on trouve une bonne place. Après quelques instants, il n’y a plus un siège de libre : la salle est à capacité. J’imagine qu’on a refusé des gens à la porte, je ne regrette pas mon arrivée hâtive. Les lumières diminuent…
On démarre avec deux bandes-annonces en 35mm, celle de L’HORRIBLE DR. ORLOF, d’époque, longuette avec narration monotone se voulant énergique à l’appui, et celle du MIROIR OBSCÈNE, d’époque également, plus courte avec la même narration monotone, qui laisse pantois quant à la qualité de la copie. Pour ceux ne le sachant pas, dans ce trio, le morceau de bravoure est LE MIROIR OBSCÈNE vu sa rareté en bonne qualité (seulement de vieilles VHS européennes existent pour le visionnement autre qu’en salle) puisque les deux autres métrages sont des œuvres plus connues et mieux représentées sur le marché vidéo (les deux sont disponibles en DVD malgré que FACELESS n’a pas sa version française préférable sur le DVD R1). Donc, ces bandes-annonces laissent rêveur pour ce qui nous attend au deuxième programme et au sujet du DR. ORLOF, ça dévoile malheureusement pas mal du récit pour les non-initiés. Après cette entrée en matière, je m’attendais à voir démarrer la bande-annonce des PRÉDATEURS DE LA NUIT avec sa chanson-thème mémorablement kitsch (« Destination nowhere… »), mais on nous offre plutôt le premier film.
L’HORRIBLE DR. ORLOF prend place sur l’écran en copie 16 mm de très bonne qualité autant du côté visuel que sonore, assez pour se demander si elle n’est pas neuve considérant l’année du film. Ayant déjà vu ce morceau, je le redécouvre avec autant d’enthousiasme sur le grand écran avec ses compositions d’images gothiques fabuleuses, ses dialogues savoureux et son humour particulier. La présentation en salle apporte beaucoup et l’auditoire en général semble apprécier, rigolant parfois du côté vieillot des opérations mais somme toute, une salle plus respectueuse que celle dont j’avais imaginé. On nous offre également la version originale sans les deux inserts de nudité dont le premier (l’opération chirurgicale) n’est pas si mal, mais le second (la capture de Diana Lorys par Morpho où les seins de la doublure sortent de son corsage en gros plan) est d’un ridicule abrutissant, tout en brisant l’ambiance. Tant mieux comme ça.
On laisse cinq minutes de répit entre les films, prévenant que si l’on quitte la salle, on risque de perdre notre place avec les gens qui attendent à l’extérieur. Pas de problème, je ne comptais pas bouger. Plusieurs quittent la salle, d’autres entrent. La salle est moins remplie qu’au départ, mais il ne reste tout de même que quelques places et je suis surpris de voir qu’une bonne partie des gens du premier film reste pour le second. Mais voilà, c’est là qu’on va voir ceux qui apprécient un Franco plus expérimental et moins académique avec la prochaine projection, d’autant plus qu’il s’agit d’un remontage avec inserts à caractère sexuel…
Les lumières s’éteignent, les premières images en 35mm de LE MIROIR OBSCÈNE nous révèlent une qualité aussi magnifique que la bande-annonce laissait présager. Wow ! Les couleurs ressortent majestueusement et le son est encore surprenant. Au cours du film, les saletés sur la pellicule sont présentes, bien entendu, mais ce n’est rien comparativement à ce qu’on retrouve en VHS tant les couleurs sont bien définies. À deux moments, on voit le changement de bobines en plein milieu d’une scène avec les couleurs qui se modifient complètement pour être plus sombres, mais encore là, rien de bien mal, ça vous fait sentir la magie de la pellicule plus âgée. Plus tard, lors de la fin d’une scène de suicide, la bobine suivante n’embarque pas et nous retombons dans l’obscurité pendant quelques instants, le temps de remédier à la situation.
Pour ce qui est du film, il s’agit là du montage français accompli pour le compte de Robert De Nesle avec des inserts softs, modifiant tout le récit original espagnol. N’ayant pas vu la version espagnole, mais ayant lu depuis des années le magnifique métrage qu’il est, je peux dire que l’histoire se déroule autour d’Ana (joué par Emma Cohen) hantée par le suicide de son père (Howard Vernon) causé par l’annonce du mariage d’Ana. D’outre-tombe, à travers les miroirs, son père s’éprend d’elle, la privant de sa propre vie, allant jusqu’à ordonner la mort des compagnons possibles d’Ana.
En revanche, dans la version plus olé pour De Nesle, Franco a tourné des plans changeant le récit et le fond. On se retrouve donc avec l’ajout de la sœur d’Ana (Annette dans la VF) (Lina Romay) qui se suicide à l’annonce du mariage. C’est elle qui hantera Annette à travers les miroirs avec ses prouesses sexuelles. Malgré tout, le métrage français dégage une bonne dose de l’ambiance originelle (même si la musique est différente) et les inserts sont du pur Franco de cette époque en plus de dialogues forts savoureux. Bien sûr, on y préfèrera sans doute la version espagnole, mais le remontage n’est pas complètement dénué d’intérêt pour les fans de Jess. On retrouve Lina Romay, Pamela Stanford (le temps de quelques plans) puis Ramon Ardid, seule âme masculine à faire partie de ce monde onirique. Alice Arno, pour son compte, apparaît aussi dans la majeure partie de ces inserts avec Lina Romay pour revenir ensuite dans la deuxième partie du film avec un rôle principal qui n’a rien à voir avec sa présence ultérieure dans les ajouts! Quoi de plus mélangeant pour les nons-initiés…
L’auditoire, lui, ne savait quoi en penser. On remarquait dès le départ ceux qui étaient restés de la projection d’avant puisqu’ils ont éclaté de rire en voyant Howard Vernon dès les premiers plans de celui-ci pour aucune raison. Est-ce que la notion d’acteur leur échappe ? Enfin, j’imagine que le dernier plan du sort réservé à Vernon dans ORLOF a aidé cette réaction particulière ? Passons… Donc, audience moins mature, mais encore pas si mal. On pouvait observer l’attachement à la réalité auquel le public est habitué lorsque la musique jouée à l’écran ne fonctionnait pas toujours avec les plans des acteurs qui, eux, jouaient les instruments dans le film de façon approximative. Le côté rêveur du film et du cinéma échappait à plusieurs.
Le plus frappant était de voir et d’entendre à quel point les inserts sexuels (qui ne sont pas furtifs) administraient un malaise dans la salle. À chacun de ces moments, la salle au complet se mettait à chuchoter au voisin, le climat inconfortable prenant place, tous renonçant à la sexualité à l’écran. Plus ça durait, plus les chuchotements augmentaient jusqu’à même entendre un « dégueulasse ! » d’un homme lorsqu’on y voyait un vagin, poilu de surcroît (la honte !).
Malgré tout ça, personne ne quittait durant ces scènes ! Il y a bien eu quelques sorties à un moment ou à un autre, mais la bonne majorité restait. J’imaginais le petit Jess chez lui en Espagne, grand sourire sur la gueule, avec son Goya d’honneur sur ses tablettes, pendant que son film se voyait confronté à un public d’aujourd’hui, pas habitué du tout à une telle franchise de la sexualité à l’écran, passant du choc à l’inconfort. Heureusement que ce n’était que du soft ! (Pour des précisions sur la version présentée, voir mon prochain billet qui ne tardera pas, c’est promis.)
Lorsque le film se termina, c’est là que plusieurs ont quitté, certains vu l’heure tardive, d’autres ennuyés, d’autres redoutant sans doute la suite (!), d’autres découragés comme le démontra un commentaire d’une jeune dame près de moi qui tentait de comprendre comment le même réalisateur pouvait aussi « mal » cadré un film, lui qui était capable de le faire dans le métrage précédent. Rigolo. La jeune femme dite fan de répertoire, continuait en discours habituel d’incompréhension du manque d’académisme, perdue dans ce dont elle venait d’être témoin, pour terminer en disant qu’elle se rappellera d’Howard Vernon et qu’elle ne veut plus voir cet acteur « douteux ». Faudrait pas lui révéler son rôle dans DELICATESSEN ou dans BOB LE FLAMBEUR pour ne pas la choquer.
Un autre cinq minutes de répit. Je me demande si je reste pour le dernier, l’ayant vu souvent avec les années et il s’agit là d’une commande avec un Franco beaucoup moins présent dans la mise en scène malgré ses thèmes encore apparents (en gros, c’est un démarquage sanguinolent et mis-à-jour de DR. ORLOF). La simple pensée de voir un autre film de Jess Franco en pellicule me ravigote en un instant pour continuer la nuit.
Un changement rapide de personnes dans la salle, les places ne sont pas tous prises, nous ne sommes plus extrêmement nombreux puis ça démarre… « Destination nowheeeeere… », vous connaissez sans doute l’air de la chanson thème si vous avez déjà vu, cette pièce reste en tête comme c’est pas permis. Comme on pouvait s’y attendre, la copie du film est impeccable et j’y découvre des touches d’humour additionnelles dans la mise en scène que je n’avais pas vu jusqu’à maintenant.
Par exemple, dans le club où se déroule une partie de l’action, on peut voir en arrière-plan des trucs assez loufoques. Quand Helmut Berger et Brigitte Lahaie font un tour à ce club pour ramasser une nouvelle victime (Florence Guérin), on retrouve un homme au bar et tous les couples dansant un slow sur la piste sont des couples de femmes. Plus tard, lorsque Chris Mitchum fait son tour et que c’est une femme au bar, on ne retrouve que des couples d’hommes dansant collés l’un contre l’autre sur la piste. Haha ! Les références et l’humour ne manquent pas dans ce film, mais voilà une nouveauté que la projection sur grand écran apporte. Eh ben…
La salle semble bien aimer, le métrage en question n’y allant pas par quatre chemins par sa violence, ses perversités et sa cruauté, le tout bien dosé et tout prêt pour un grand public, même ceux détestant Jesus Franco. En avant, on a droit à un saoulon qui a de la difficulté à s’asseoir pour tout simplement ronfler durant la dernière partie (et continuant lorsque le film est terminé, courage à la personne de la cinémathèque qui a dû le réveiller) et un autre qui juge ses commentaires ( « waaach ! » et « yark ! ») fort utiles à partager entre ses rires à haut volume ce qui lui valu plusieurs « ta gueule ! ». Il quitta avant la fin, bien sûr…
Je somnole dans les derniers instants du film, perdant quelques bouts, la fatigue me rattrappant. La projection se termine et on quitte tranquillement. On vérifie l’heure : 4h40. Aïe !
C’était la première fois que je me tapais plus d’un film de l’oncle Jess en file, préférant les savourer tranquillement, et ce n’est pas déplaisant du tout. Ces projections en pellicule m’ont refait découvrir mon obsession pour son cinéma que je dévore encore avec autant d’enthousiasme. Ses films sont définitivement plus fabuleux projetés en salle et cela était la première fois en 12 années qu’une telle occasion se produisait à Montréal (la dernière fois remonte en 97 à Fantasia, lors de la projection de TENDER FLESH qui fut mal reçu et qui fit banni non-officiellement du festival le pauvre Jess malgré l’enthousiasme des programmateurs). Cette fois-ci, malgré le surnom péjoratif de la soirée ( « La nuit ép(r)ouvante de Jesus Franco » ) démontrant une certaine honte malgré les honneurs que reçoit le metteur en scène ailleurs, on a finalement fait sortir des films de la voûte de la cinémathèque de cet iconoclaste espagnol. J’espère de tout cœur que l’attente ne sera pas aussi longue pour que l’occasion se reproduise. Vivement plus ! Et merci à la cinémathèque québécoise pour cette nuit blanche hors du commun.
L'ouverture du cycle Jess Franco à la Cinémathèque Française. À voir.
La remise du Goya d'honneur à Jess Franco, en compagnie de Lina Romay.
2 commentaires:
Un compte-rendu magistral et fabuleux de cette soirée. Je te suis très reconnaissant de ce billet ; on voit que tu y as mis le temps nécessaire et, à te lire, on a l'impression d'être dans la salle. Un excellent texte, qui aurait pu paraître dans un périodique de cinéma, notamment pour les questionnements qu'il soulève au-delà des "anecdotes" que tu nous racontes.
Merci bien du commentaire élogieux ! Je trouvais important de souligner cet événement si rare et ça continue le partage de l'obsession de l'oeuvre de Franco. En espérant que tu puisses venir savourer ces moments une prochaine fois, ça donne une idée de la soirée...
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